Un collectif de statisticiens, de syndicats, d'associations et d'universitaires s'engage à diffuser des données "scientifiquement
fondées" sur l'école. Source le AFP/ le Monde avril 2012
Le collectif des "déchiffreurs de l'éducation" http://www.lesdechiffreurs.com/s'est officiellement constitué mardi 3 avril.
| AFP/DAMIEN MEYER
Publications bloquées, statistiques "discutables voire mensongères", chiffres détournés au service de la communication
politique... C'est sur ce constat partagé de "désinformation" que s'est officiellement constitué, mardi 3 avril, le
"collectif des déchiffreurs de l'éducation".
A l'origine de l'initiative, on trouve des professionnels de la statistique publique comme Jean-Claude Emin, ancien sous-directeur à la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP)
du ministère de l'éducation nationale, et Daniel Blondet, ancien chargé d'études à la
direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO). Autour d'eux se sont rassemblés des syndicats (FSU, UNSA, CGT, SUD, SGEN-CFDT), les parents d'élèves de la FCPE, des universitaires et des
associations (le CRAP-Cahiers pédagogiques, la Ligue de l'enseignement...). Leur ambition : publier, sur leur blog www.lesdechiffreurs.com, des données "scientifiquement fondées" et promouvoir ainsi un "débat public de qualité" sur l'éducation.
STATISTIQUES DÉTOURNÉES
Depuis le début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, les
informations diffusées au grand public issues de la DEPP, des inspections générales ou du monde universitaire, se font de plus en plus rares. "Des rapports existent sur les effets de
l'assouplissement de la carte scolaire [lancé en 2007, ndlr], mais aucun n'a été publié", note ainsi Jean-Claude Emin. Aucune donnée n'a été rendue publique sur les prévisions d'effectifs
d'élèves (qui ne cessent d'augmenter ces dernières années). Rien non plus sur
l'aide personnalisée à l'école primaire.
Certaines informations sont diffusées avec des mois de retard. Ainsi, le bilan de la rentrée 2010 a été publié à l'été 2011 alors
qu'il était prévu pour février. Seul un "pré-bilan" de la rentrée 2011 a "fuité" dans la presse en janvier. On attend encore le bilan complet.
Le collectif évoque aussi des statistiques "détournées au profit de la communication politique". Le plus bel exemple de
détournement, disent-ils, est le comptage des "décrocheurs" : alors que le ministère a évoqué, tour à tour, 180 000 décrocheurs entre juin 2010 et mars 2011, 223 000 entre juin 2011 et
octobre 2011, et 306 000 entre juin 2010 et septembre 2011, le collectif observe que tout converge vers une "surévaluation des chiffres" des décrocheurs. D'abord, parce que la définition
du ministère englobe non seulement les jeunes sortis du système de formation initiale sans diplôme, mais aussi ceux qui "risquent" de quitter le système sans diplôme. Ensuite, parce que dès qu'un jeune quitte un établissement, il est
comptabilisé comme décrocheur alors qu'il peut se réinscrire dans une autre formation. Par ailleurs, les chiffres du ministère portent sur des durées différentes et ne peuvent donc être comparés.
Pour le collectif, l'ordre de grandeur à retenir est 120 000 jeunes sortis du
système éducatif sans diplôme ou avec le seul brevet des collèges, soit 17 % à 18 % des 700 000 "sortants" du système scolaire chaque année.
"JUGE ET PARTIE"
Enfin, le collectif dénonce fermement les évaluations de CE1 et de CM2. Selon un membre de la DEPP présent à la conférence de presse
du collectif, "ces évaluations sont sujets à caution du fait que la DEPP en a perdu la maîtrise et qu'elles ont été confiées à la direction générale de l'enseignement scolaire [DGESCO]."
La DGESCO serait donc "juge et partie". Dans un rapport publié en septembre 2011, le Haut Conseil de l'éducation avait même qualifié ces évaluations de "partielles", "peu exigeantes" et "trompeuses". Avec un petit rappel à l'ordre, au
passage, adressé à la Rue de Grenelle : dans une démocratie, "il est essentiel que les
données concernant les résultats du système éducatif soient objectives et transparentes, donc incontestables".
Le collectif des déchiffreurs de l'éducation nationale souhaite mettre fin à ces pratiques qui "faussent le débat sur l'école" et "jettent le discrédit"
sur les travaux des services ministériels chargé de la statistique et de l'évaluation. Il revendique la mise en place de gardes-
fous pour garantir l'indépendance et l'autonomie de la statistique publique.
Deux articles sont déjà en ligne sur son blog : l'un sur l'augmentation des effectifs scolaires
(Nicolas Sarkozy a récemment assuré qu'ils étaient en baisse), l'autre sur les 250 000 bacheliers en
apprentissage (l'une des promesses de campagne du président-candidat).
Aurélie Collas
A lire sur leur blog : http://www.lesdechiffreurs.com/
Le collectif
Appel du collectif des déchiffreurs de l’Education
Les organisations, les associations et les personnes suivantes :
La CGT Educ’action, la FSU et ses syndicats (SNASUB, SNES, SNEP, SNUIPP), le SGEN CFDT, Sud Education, l’UNSA-Éducation et ses
syndicats (SE, A&I, SI.EN, SNPDEN, SNIA-IPR)
L’Appel des Appels, le CRAP-Cahiers pédagogiques, Education & devenir, la FCPE, le GRDS (Groupe de Recherche sur la
Démocratisation Scolaire), La Ligue de l’enseignement, l’OZP (Observatoire des Zones prioritaires) ;
Florence AUDIER (chercheure), Daniel BLONDET (ancien chargé d’études à la DGESCO/MEN), Pascal BOUCHARD (journaliste, fondateur de
ToutEduc), Vérène CHEVALIER (maître de conférences), Jean-Claude ÉMIN (ancien sous-directeur à la DEPP/MEN) Fabienne MAILLARD (professeure des universités), Nathalie MONS (maitre de conférences
en sociologie, Paris EST Marne-la-Vallée, ),
Se sont regroupées pour manifester leur préoccupation face aux pressions exercées par le pouvoir exécutif sur la production et la
diffusion des données relatives au système éducatif.
Elles constatent :
- que, depuis le début du quinquennat, des blocages ont systématiquement entravé la publication des données relatives au système
éducatif construites par les professionnels de la statistique publique et des évaluations de la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) du Ministère de
l’Éducation nationale, ainsi que celle des rapports des inspections générales et de rapports de chercheurs pourtant commandités par les services ministériels ;
- que les Ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche confient à des directions politiques
l’élaboration d’évaluations à la méthodologie douteuse et de statistiques discutables, voire mensongères ;
- que les responsables de la politique éducative s’érigent en juge et partie de cette politique, en élaborant eux-mêmes et en
contrôlant les indicateurs qui permettent de décrire et d’évaluer cette politique, et en ne retenant des données produites sur le système éducatif que ce qui peut servir leur communication et
cautionner leur politique ;
- qu’il est fait appel de manière croissante aux organismes privés de consultance pour recueillir et analyser les données sur notre
système éducatif et définir les orientations de notre politique éducative ;
- que ces pratiques dévalorisent les services ministériels en charge de la statistique et de l’évaluation et jettent le discrédit sur
l’ensemble de leur production.
Ces pratiques faussent le débat sur le système éducatif, alors que des informations scientifiquement validées devraient permettent de
nourrir ce nécessaire débat public et démocratique sur la politique éducative et ses résultats.
C’est pourquoi, elles :
- estiment que les professionnels de la statistique publique et de l’évaluation des Ministères de l’Éducation nationale et de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche doivent bénéficier d’une indépendance et d’une autonomie scientifiques par rapport aux responsables politiques ;
- exigent en conséquence que les services statistiques et d’évaluation des ministères bénéficient :
-
d’un programme de travail public et élaboré démocratiquement avec un comité scientifique en liaison avec le CNIS ;
-
de la liberté de publication et de diffusion ;
-
de l’accès au système d’information des ministères ;
-
du fait d’être opérateur des enquêtes internationales ;
-
des moyens d’organiser synthèse et cumulativité des travaux conduits dans le domaine de l’éducation, en lien avec l’ensemble du
milieu de la recherche en éducation.
- appellent les responsables et les personnels de ces services, et plus largement l’ensemble des personnels et usagers de l’éducation
à se mobiliser avec eux pour exiger cette indépendance et cette autonomie scientifiques.
Soucieuses, à la fois, de promouvoir un débat public de qualité sur l’éducation et de disposer d’éléments objectifs qui leur
permettent d’intervenir dans ce débat en fonction de leurs responsabilités respectives, ces organisations, associations et personnes décident de créer et de soutenir le :
« Collectif des déchiffreurs de l’éducation »,
Impulsé par des professionnels de la statistique publique et de l’évaluation, il s’efforcera, chaque fois que
nécessaire, et quels que soient les gouvernements en place :
- de présenter des données scientifiquement fondées qui permettent de contrer les allégations mensongères ou fantaisistes que
certains font circuler sur notre système éducatif ;
- de faire connaître les données utiles au débat public qui pourraient être occultées ou censurées ;
Le collectif est conscient que les chiffres n’ont pas de valeur par eux-mêmes et ne peuvent tenir lieu d’analyse ou se substituer à
la réflexion politique, mais il affirme que des données élaborées selon des méthodologies rigoureuses et publiquement vérifiables sont indispensables pour étayer un débat pluraliste et
démocratique sur l’organisation et l’avenir de notre système éducatif.
C’est dans cet esprit que le collectif est ouvert à tous les acteurs (analystes et statisticiens des services ministériels,
universitaires, chercheurs, cellules d’études des organisations syndicales et des associations, journalistes, enseignants, etc.) amenés à produire, à exposer et à utiliser des données et des
évaluations sérieuses.
Tous ceux qui partagent ces convictions sont invités à participer au soutien du
« Collectif des déchiffreurs de l’éducation »
qui s’exprimera sur le blog : http://www.lesdechiffreurs.com/
Contact : contact@lesdechiffreurs.com
posté le 05/04/2012